Marginalisé, raillé, stigmatisé er moqué par des membres de sa propre famille, Koné Oumar, handicapé de naissance, a retrouvé la dignité grâce au Sport. Athlète de 400m, 800 m, 1500 m et 5000 m, Koné Oumar, aujourd’hui reconverti dans le coaching, encourage les personnes en situation de handicap à quitter les mosquées et les feux où ils s’adonnent à la mendicité, pour mener une activité sportive. Car dira-t-il, si j’ai pu le faire, c’est que qu’ils peuvent aussi le faire. Reportage.
Il est 14heures 30 ce 3 novembre 2023 à l'avenue 8, Rue 24, à Treichville. Il n’a pas été gâté par la nature. Né sans un avant- bras le 20 juillet 1978 à Bingerville, la première capitale de Côte d'Ivoire, Koné Oumar a connu l’enfer. Handicapé de naissance, il était perçu par son entourage comme un sorcier. En effet, dans certains pays africains comme la Côte d’Ivoire, naitre sans ses membres au complet, était synonyme de malédiction. A cause donc de son
handicap, il était perçu comme un bon à rien, un paria de la société juste bon à dormir sur un grabat, à tendre la main et attendre qu’une âme généreuse lui jette une piécette. Son avenir semblait compromis. Le sort semblait s’acharner sur lui puisqu’il a été contraint d d’abandonner les études à la suite du décès de son père. Rejeté, brûlé par les siens, le natif de Bingerville fait preuve de résilience et refuse de s’apitoyer sur son sort. Il se lance dans le sport qui va lui redonner sa dignité. Un jour de 1994, il décide de participer à un cross populaire organisé par la Fédération Ivoirienne d’Athlétisme (FIA). Ce cross allait définitivement changer sa destinée .Mieux, il allait changer la perception des siens vis-à-vis des personnes en situation de handicap.
Le parcours inspirant de cet athlète qui vaut de l’or
Koné Oumar débute l’athlétisme en 1994. Son parcours inspirant sera marqué par des médailles d’or qui vont changer la perception de ses plus grands pourfendeurs.
« J'ai commencé l'athlétisme à la fin d'année 1994 dans les différents cross populaires que la fédération ivoirienne d'athlétisme organisait pour préparer les marathons. Chaque fois qu'il y avait un marathon, je participais. En son temps, il était surprenant de voir un handicapé courir avec les valides. Au classement général je termine 5e et au classement de la catégorie cadet et junior, je termine premier devant les valides. En ce moment, il n'y avait pas de fédération Paralympique en Côte d'Ivoire. Je me rappelle que quand je suis arrivé à la maison avec mon 1er trophée, on m'a demandé qui m'a donné ce trophée ? Et j'ai répondu que je l'avais gagné à une course. L'aîné me regarde avec dédain et me dit : « ça ne vas pas chez toi ? Ceux même qui sont normaux n'ont pas gagné de trophée, c'est toi qui es handicapé qui va gagner » ? Et ils ont commencé à se moquer » raconte-t-il avant de poursuivre : « j'ai fait encore un autre cross en décembre 1995 sous le premier président de la Fédération Ivoirienne de Sports Paralympiques, Dr Yacé et Angaman Arsène était le Directeur technique national. A la suite de cela, j’ai été sélectionné pour participer au championnat arabo africain en Égypte. C'est de là que tout est parti. Même quand je suis venu dire à la maison que je devais prendre, l'avion, mes parents se moquaient, espérant me dissuader et me décourager. Le lendemain. Ils ont décidé de m'accompagner à l'aéroport et quand je suis monté dans l’avion, ils ont réalisé que je disais vrai. A cette compétition, j'ai eu 3 médailles, deux d'or et une d'argent. Au 5000 m et au 1500m, j'arrache la médaille d'or et j'ai fait le minima pour les Jeux paralympiques d'Atlanta en 1996.Voilà comment, tout est parti. Je me suis intégré chez les valides, je courais avec les valides. C'est là que j'ai débuté l'athlétisme », rappelle-t-il avec fierté.
Qualifié pour les Jeux paralympiques d'Atlanta en 1996, Koné Oumar, alors âgé 18 ans, y a débarqué avec sa coach Agbo Florence, actuelle vice-présidente de la Fédération Ivoirienne d'Athlétisme.
Revenant sur ce tournant glorieux de sa carrière, il arbore un grand sourire puisqu’à ces jeux, il a glané deux médailles. « J’étais engagé sur les 400, 800 et 1500m. Après la demi-finale, je suis qualifié pour la finale du 800m. Et la coach me dit que notre objectif est atteint. Si avec les Kenyans et les Ethiopiens, tu as pu atteindre la finale, c'est que notre objectif est atteint. Je lui ai rétorqué que je n’ai pas fait tout ce parcours pour me contenter d’une finale. Je ferai tout pour avoir une médaille et j'ai obtenu la médaille d'or au 800m.Le lendemain, j'avais les finales des 400 m et 1500 m. Le matin, je cours le 1500, et je contracte une déchirure. Donc la délégation ivoirienne décide que le 400 m, ce n'est pas la peine. Le médecin a emballé ma cuisse et nous sommes retournés au village olympique. Quand l'heure de la finale du 400m approchait, j'ai pris mon sac et sans mot dire, je suis allé au stade de la compétition. Ils pensaient tous que j’avais fui. Mais quand la délégation m'a vu à la télé, elle m'a rejoint au stade. Le médecin m’a conseillé d'arrêter si je sentais une douleur. Je cours la finale des 400 et j'arrache la seconde médaille d'or aux Jeux paralympiques d'Atlanta. Aussi, quand la délégation de la fédération ivoirienne sort, je participe aux compétitions. J'appartiens aux deux fédérations. C'est à cause des moqueries et des frustrations que je suis ce que je suis. À ceux qui se sont moqués de moi hier, je leur ai dit qu'ils m'ont rendu service, ils m'ont rendu fort », note-t-il.
Auréolé de deux médailles d’or aux Jeux Paralympiques, à Atlanta en 1996, Koné Oumar revient à la charge au championnat d'Afrique de Cotonou en 1998, mais cette fois avec les valides qui n’hésitent pas à le narguer. « En ce moment Seri Gnoléba était le président de la Fédération Ivoirienne d'Athlétisme et ses pairs l'ont approché pour lui demander ce que je faisais là. Il a répondu que ce monsieur que vous voyez c'est le meilleur des meilleurs dans mon pays. Il court plus vite que les valides. Quand il m’a rapporté cela, ça m'a remonté le moral. Avant le top départ de la course, un des coaches a prévenu son poulain de faire attention à moi parce que j'allais très vite et il a répondu qu'un handicapé comme ça qu'est-ce qu'il peut faire ? Et son coach a rétorqué, je t'ai prévenu. À la fin, il est venu me féliciter et a confié qu'il m'avait sous-estimé mais que j'étais fort. J’étais donc l'ambassadeur, le porte- flambeau des personnes en situation de handicap. Si moi j'ai réussi à le faire, c'est que vous pouvez le faire plutôt que d'être des mendiants », a-t-il conseillé.
Sa reconversion anticipée qui redonne espoir aux jeunes et aux handicapés
Bien que qualifié pour les jeux paralympiques de Londres en 2012, il n’a pu participer à cette compétition parce que n’ayant pas été sélectionné. Une situation qui a porté un véritable coup à son moral car confiera-t-il : « j'étais tellement découragé parce que je voulais terminer ma carrière en beauté. Hélas, ils ont coupé mon élan. J'ai senti qu'ils voulaient me pousser à la retraite et comme je ne voulais pas créer de problème, je me suis retirer ».
Résilient, aujourd’hui, il s’est reconverti dans le coaching et compte redonner espoir aux jeunes et aux handicapés. . Il a sous sa coupe un club d’athlétisme et un club au handisport avec six handicapés qu’il essaie de sensibiliser. « Actuellement, je suis dans le coaching. J'ai eu Marie Josée Ta Lou, Totti Suzanne et Nianzou. J'ai encadré tout ce beau monde. Tout ce que j'ai appris sur la piste je veux en faire bénéficier à la jeunesse de Côte d'Ivoire. Quand les enfants entendent champion, ils veulent travailler avec moi. J'ai un club à la fédération d’Athlétisme et un club en Handi. Aux handicapés, je leur apporte l'espoir parce qu'il y en a qui étaient désespérés, découragés de la vie. Lorsque je les sensibilise, ils se rendent compte qu'ils peuvent le faire. Pendant la crise de 2010, une grenade a frappé les deux bras d'un jeune. Actuellement, il ne voit pas bien et n'entend pas bien. Il était désespéré. Mais après avoir échangé avec lui, il a compris qu'il peut le faire. Aujourd'hui, j'ai plein de personnes en situation de handicap. Quand je les sensibilise, ils deviennent de grands sportifs. J'en ai près de six. Il y a Wolle Zézé qui était allé en Tunisie, Konaté Zié et Kouassi Kouassi Diama et il y en a qui vont à l'école. Je tiens compte de leurs études pour faire leurs programmes sans compter les valides qui sont nombreux », a-t-il relaté avant d’appeler les autorités à faire quelque chose pour les jeunes au risque de les voir perdus pour la vie. « Si on ne fait rien pour la jeunesse, on risque de la perdre dans quelques années. Il faut que les autorités et les fédérations aident les clubs pour qu'ils sortent les enfants de la rue où ils sont exposés à la drogue, à l'alcool. Aux jeunes, je leur dirai de choisir le sport qui les convient et ils réussiront au lieu de s'adonner à la drogue, à la prostitution. Aux athlètes en situation de handicap, je leur dis qu'au lieu d'aller mendier, ils peuvent s'en sortir grâce au sport. Je me rappelle que lorsque j'étais athlète, une dame m'a tendu une pièce de 25FCFA que j'ai refusé. En retour, je lui ai remis 2000FCFA.Je voudrais donc demander aux personnes en situation de handicap de quitter les feux pour pratiquer le sport car c'est d'abord la santé, la cohésion sociale. Grâce au Sport, je cause avec les Chinois, Japonais, Béninois, Tunisiens, Marocains. Le sport m'a beaucoup apporté. Même si je ne roule pas sur l'or, je ne regrette rien parce que je suis né vite. Grâce au sport, j'ai visité le monde entier et j'ai échangé avec beaucoup de personnalités. Si je n'étais pas dans le sport, peut-être que je serai assis à la mosquée ou au feu, en train de mendier. Dieu merci, le sport m'a permis de m'épanouir et m’a rendu célèbre. Aujourd'hui, grâce au sport, je suis connu par le gouvernement, le ministère et même le président de la République Alassane Ouattara qui m'a octroyé une bourse en tant qu'ancienne gloire. Le sport apporte beaucoup dans la vie d’un homme », a conclu Koné Oumar.
YAO Viviane