Yapo Alain Damien (Président de l’ONG Aline) : « Là où se trouve une cellule, un enfant peut développer un cancer »
Nous sommes tous concernés par le cancer. Yapo Alain Damien, président- fondateur de l'ONG Aline qui intervient dans le domaine de la lutte contre le cancer des enfants, énumère dans cette interview, les différents types de cancers qu’on retrouve le plus souvent chez les enfants et rappelle les signes qui les accompagnent. Selon lui, le cancer, s’il est découvert tôt, peut se guérir. Raison pourquoi, l’Ong qu’il dirige depuis le 17 juillet 2018 met l’accent sur la sensibilisation sur les différents signes du cancer pour permettre à la population d'être informée et de se rendre rapidement à l'hôpital. Le premier responsable de cette ONG lance aussi un appel aux bailleurs et à certaines structures à les aider afin de mener à bien cette mission sur le terrain pour sauver ces enfants d’une situation désespérée.
À quels types de cancers êtes-vous généralement confronté ?
On est confronté à plusieurs types de cancers mais ceux qui sont les plus fréquents sont les limphomes de Burkitt, le cancer des yeux qu'on appelle le rétinoblastome. Mais, c'est un cancer que les médecins sont en train de maîtriser. On a également le neuroblastome, la leucémie, le cancer du rein et des tumeurs de cerveau. Parmi eux, le lymphome de Burkitt vient en tête. Les médecins font beaucoup d'analyses. Mais sachez que là où se trouve une cellule, un enfant peut développer un cancer. Un enfant qui développe un cancer peut en guérir s'il est pris en charge tôt. Voilà pourquoi notre pilier de la lutte reste la sensibilisation parce que 80% des enfants qui arrivent à l'hôpital sont métastasés et donc condamnés. Mais pourquoi ils sont métastasés ? C'est parce qu'il y a une barrière qui est l'ignorance. La population n'est pas informée sur les signes du cancer. Quand on parle de tumeur, on se dit que c'est mystique, c'est un sort et on accuse toujours le sorcier.
Comment reconnaître un cancer chez l'enfant ?
Cela dépend du type de cancer. Mais déjà, l'enfant va chauffer. Certains cancers ballonnent le ventre de l'enfant, il est amaigri, il a du mal à manger. Il y en a qui ont des saignements. Un enfant qui chauffe tout le temps et qui reste anémié après une transfusion sanguine, cela doit alerter les parents qui doivent chercher à voir un hématologue. Il y a des cancers aussi où l'enfant peut avoir une masse quelque part qui disparaît et réapparaît, il faut chercher à voir un spécialiste et pousser les analyses plus loin. Quelquefois, c'est la gencive qui s'enfle, vous allez penser à un mal de dent ou autre, ils vont arracher la dent mais la gencive va continuer de s'enfler. Ce sont des choses qu'il faut observer.
Qu'est-ce qui provoque le cancer ?
Il y a la cause héréditaire qui est presque minime et la cause environnementale. En d'autres termes l'homme a transformé la nature qui nous agresse. Si on comprend cela, on comprendra pourquoi on développe maintenant beaucoup le cancer. Sinon à la base, le cancer était causé par le vieillissement des cellules. Mais aujourd'hui, c’est la malformation de ces cellules qui entraîne le cancer chez les enfants. Cette cellule est influencée par tout ce qui est agression environnementale. Aujourd'hui, on n'a plus de lopin de terres pour cultiver des produits bio. Aujourd'hui, tout est chimique. Aujourd’hui, ce sont des pesticides qui rentrent en jeu. Sinon, le lymphome de Burkitt est causé par un virus qu'on appelle Epstein-bar. Selon le professeur Atteby, on le trouve dans la salive. C'est un virus qui a été découvert par un Anglais qui est allé en Ouganda. Et il a découvert qu'il y avait des enfants d'un certain âge qui avaient les mêmes symptômes. Les gens ont fait des analyses et ils ont compris que c'était un virus qui était à la base de cette maladie.
Y a- t-il des centres qui accueillent des enfants atteints de cancers en Côte d'Ivoire ?
En Côte d'Ivoire, il y a même deux centres : le service oncologique du Centre hospitalier universitaire de Treichville et celui de l'hôpital mère- enfant de Bingerville. Il faut dire que notre pays a évolué sur ce plan. Contrairement aux autres pays de l’Afrique francophone, beaucoup d'efforts sont faits en Côte d'Ivoire.
Le matériel est-il approprié pour une prise en charge efficiente des enfants malades?
Oui, il y a le matériel approprié. Mais c'est relatif en ce sens que lorsque vous prenez le Chu de Treichville, la capacité d'accueil et le matériel dont il dispose n'est plus adapté. Contrairement à l'hôpital mère-enfant qui est doté de matériels de pointe. Au Chu de Treichville, vu que les malades viennent de partout, le personnel doit être renforcé contrairement à mère- enfant qui n'absorbe pas assez de malades. Le Chu absorbe la plus grande quantité des enfants malades.
Outre le renforcement du personnel, qu'est-ce qu'il faut faire ?
Je l'ai dit, l'hotte qu'on prend pour préparer la chimiothérapie, elle est petite et n'est pas à la dimension de la réalité parce qu'il y a plusieurs enfants qui sont en hospitalisation et qui viennent faire leur chimiothérapie. L’appareil ne peut plus faire le travail, il faut quelque chose de plus sophistiqué et de plus grand. Il faut aussi des médicaments et ça manque véritablement au Chu de Treichville. C'est vrai que l'Etat fait beaucoup mais il faut en faire plus. Raison pourquoi, il faut inviter les bailleurs et les structures à aider à ce que les enfants aient des médicaments pour se soigner parce que la prise en charge du cancer est onéreux. Pour un lymphome de Burkitt à un stade 1 ou 2, vous pouvez aller jusqu’à 2000000fcfa.S'il passe au stade 3, vous pouvez aller à 3000000Fcfa, au stade 4, ça devient encore plus coûteux. Plus la maladie se propage, plus le protocole devient encore plus cher. Pour nous, le matériel n'est plus adapté ou est insuffisant et donc, il faut le renforcer. Il faut renforcer la capacité en médicament parce que les anticancéreux coûtent chers. Il faut aussi renforcer les lits d’hospitalisation.
Peut-on avoir une estimation des coûts ?
Cela dépend des produits. Il y a des produits qui vont jusqu'à 21 000fcfa et on vous demande 15 à 20 pour un protocole. Pour un enfant qui va en chimiothérapie, c'est selon, les coûts vont jusqu'à 1000000Fcfa et s'il a dix (10) chimiothérapies à faire, que fait le parent ?
Vous qui êtes en contact avec les parents, quelles sont les difficultés qui sont les leurs?
La première difficulté c'est que tout est centralisé à Abidjan, alors que la majorité des enfants vient de l’intérieur. Certes, la difficulté financière est au-dessus maïs il faut plus de points d'accueil. La deuxième difficulté c'est l'orientation. Ils ne savent pas où aller, ils ne comprennent pas l'ampleur de la maladie. Pour les parents, c'est une maladie qui peut se traiter sur un à deux jours. Ils ne comprennent pas que lorsque tu as un cancer et qu'il est déclaré, il faut au minimum un (1) an ou deux ans de traitement. Il faut les préparer psychologiquement à cela.
Cela pose donc un problème de diagnostic ?
En effet, contrairement aux adultes, chez les enfants, on ne fait pas de dépistage mais on fait un diagnostic. C'est ce qui fait d'ailleurs la difficulté. Et donc, il faut vulgariser les signes. Il faut donc sensibiliser les parents sur les différents signes du cancer pour permettre à la population d'être informée et se rendre vite à l'hôpital. Il faut donc rapprocher les centres de santé de la population. Parce que le cancer vite su, se guérit.
Vous qui intervenez dans ce domaine, s'il devrait avoir un autre service d'oncologie pédiatrique, ou souhaiteriez-vous qu'il soit construit?
Je dirais de construire un centre de santé au Centre du pays. Toutefois, notre souhait est de permettre à toutes les régions de bénéficier d'un service d'oncologie pédiatrique. Il faut décentraliser le système de santé chez les enfants malades du cancer. Parce qu'il y a des vagues d'enfants qui viennent de l'ouest. Il faut mener des études pour savoir pourquoi, de ce côté-là il y a cette vague d'enfants. Il y a aussi beaucoup d’enfants qui viennent du Sud-est. Malheureusement, les Ong qui devraient être sur le terrain pour recueillir des données n'ont pas de moyens. Il faut un registre de cancer qui commence dans les centres de santé. Il faudrait que tout soit enregistré et informatisé. Il faudrait avoir des informations documentées pour savoir d'où vient l’enfant, il a été reçu par qui au départ et dans quel centre de santé ? Tout cela pour pouvoir faire un bilan par rapport à l'accueil. Quand on fait le bilan, on dit par exemple qu'on a reçu 200 ou 250 enfants. On suppose alors que ce sont 200 ou 250 enfants qui sont malades. Non. Ce sont des estimations. Il faut aller sur le terrain. Il faut financer les enquêtes pour voir les zones où il y a des enfants atteints du cancer. Après, il faut financer la recherche. Mais pour moi, les centres de santé doivent être délocalisés parce qu'Abidjan commence à être surchargé. La plupart des enfants qui viennent en traitement ne reviennent plus voir le médecin certes par manque de moyens, mais surtout à cause de la distance. Les médecins sont au contact de la maladie mais ils ne sont pas au contact des parents. Nous, nous côtoyons les médecins, nous côtoyons l'enfant, nous côtoyons les parents, donc nous avons trois personnes avec qui nous échangeons et cela renforce nos capacités d'informations pour orienter notre lutte parce qu’on connaît les besoins des parents, on connaît les besoins de l'enfant, on connaît les besoins des médecins, on connaît aussi les besoins des centres d'accueil.
Pour terminer, quel appel pouvez-vous lancer ?
Pour terminer, je voudrais lancer un appel à soutenir la cause de l'ONG Aline et surtout dire que nous sommes tous concernés car les enfants sont des potentiels malades du cancer. Tant qu'on sera dans ce monde, on va subir les agressions de la nature. Il faut être regardant sur la vie des enfants, sur ce qu'ils mangent, sur ce qu'ils font. La première bataille sera gagnée, lorsqu'on fera la sensibilisation. Mettons beaucoup d'argent dans la sensibilisation pour que les enfants viennent plutôt pour que la prise en charge soit facile. Car lorsqu'ils arrivent tard, les parents dépensent plus et les populations encaissent plus. Merci à tous ces bénévoles qui nous accompagnent. Merci de créer l'union autour de cette maladie afin de la faire connaître parce que le cancer fait ravage. Un enfant qui meurt c'est un monde qui s'écroule. Alors, aidons les enfants à vivre en sensibilisant les parents et en leur offrant des soins de qualité.
Réalisée par Patricia Lyse
- Publié dans Société